- JOSEPH HA-COHEN D’AVIGNON
- JOSEPH HA-COHEN D’AVIGNONJOSEPH HA-COHEN D’AVIGNON (1496-1578)Le plus doué des trois grands historiens juifs de la Renaissance originaires de la péninsule Ibérique, les deux autres étant Salomon ibn Verga et Samuel Usque. Joseph ha-Cohen naquit à Avignon d’une famille espagnole venue de Huete après l’expulsion de 1492. Ses parents s’établirent sur le territoire de Gênes, peut-être à Novi, en 1501, avant de s’installer à Gênes en 1509 environ. Il reçut une éducation juive et profane de qualité et fit ses études médicales, sur lesquelles on n’a pas de renseignements. L’expulsion des Juifs de Gênes le conduisit de nouveau à Novi, où il épousa, à l’âge de vingt et un ans, Paloma, fille de l’éminent rabbin bolognais Abraham Cohen. Après des séjours dans diverses villes, il entra comme médecin au service de la municipalité de Voltaggio, poste qu’il occupa de 1550 à 1567: c’est à Voltaggio que Joseph ha-Cohen écrivit ses grandes fresques historiques. Il lui fallut ensuite quitter Voltaggio pour Castel Montferrat, puis pour Gênes. On ne sait exactement où ni à quelle date il mourut: une dernière note de sa main porte la date du 26 ムeswan 5337 (19 oct. 1576). Un ensemble de lettres conservées à la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle nous fait connaître divers aspects de sa vie familiale. On sait, par ailleurs, qu’il s’occupa à plusieurs reprises du rachat de Juifs capturés en Méditerranée par des corsaires (dont Andrea Doria).La vaste culture de Joseph ha-Cohen se révèle tant dans ses traductions que dans ses écrits non historiques. Parmi les premières figurent le Me ル 稜b Geb l 拏t ‘Amim , qui contient une version hébraïque de l’ouvrage de Boemus Omnium Gentium Mores Leges et Ritus , géographie de l’Ancien Monde; le Sefer ha-India we Sefer Fernando Cortès , comprenant une version de l’Historia general de las Indias et de La Conquista de Mexico de Francisco López de Gómara, histoire et géographie du Nouveau Monde; le Meqi ル Nirdamim , version d’un traité médical de Méir Alguadez. Parmi la seconde série d’écrits de Joseph ha-Cohen, on peut citer: le Pélès ha Šemot , traité de philosophie hébraïque; le Mikhtab be-lim d , guide de l’épistolier; un recueil de poèmes — surtout de circonstance —, resté partiellement inédit. Aux deux grandes traductions citées il joint des annexes de son cru: un récit des découvertes de Christophe Colomb et un traité sur le «mal français».L’œuvre maîtresse de Joseph ha-Cohen demeure le Livre des chroniques des rois de France et des rois de la maison d’Ottoman le Turc (Sefer Dibré ha Yamim le malkhé プarfat u-le-malkhé Bet Ottoman ha-Togar ), publié à Sabbioneta en 1554. C’est la première histoire générale médiévale et moderne de la littérature hébraïque. Les deux premières parties, publiées au XVIe siècle, traitent respectivement de l’histoire de l’empire turc (c’est-à-dire de l’Islam) et de celle du royaume de France (c’est-à-dire la Chrétienté) depuis la chute de l’Empire romain jusqu’en 1520, et pour la période qui s’étend entre 1520 et 1553. Une troisième partie demeurée manuscrite jusqu’en 1955 couvre les années 1554-1575 (éd. David-A. Gross, Jérusalem, Bialik Institute). On considère généralement les deux dernières parties comme étant les plus importantes, tant par les sources utilisées (générales et hébraïques) que par les témoignages, contemporains des événements, recueillis et mis en œuvre par l’historien. C’est ainsi que la deuxième partie décrit l’Italie du XVIe siècle, avec ses conflits de cités, et l’invasion des armées de François Ier, avec ses papes éclairés (Léon X, Adrien IV, Clément VII, Paul III) et les débuts de la réaction catholique face à la Réforme; elle insiste sur la découverte de l’Amérique et relate les actions du doge de Gênes Andrea Doria. Environ quatre-vingts mentions assez brèves concernent l’histoire juive; des narrations plus fournies sont consacrées aux persécutions du temps des Croisades et surtout à l’ambassade de David Rubéni.En 1558, ayant pris connaissance de l’ouvrage de Samuel Usque, Consolaçam as tribulacoens de Israël , Joseph ha-Cohen entreprend d’écrire en hébreu une histoire des persécutions de son peuple; il veut aussi conforter celui-ci en montrant qu’est toujours présente la protection divine en faveur d’Israël, en dépit de l’acharnement de ses ennemis et lui annoncer que «des jours viennent», que la délivrance est proche. Intitulé Vallée des larmes (Emeq ha bakha , d’après le Psaume LXXXIV, 7), l’ouvrage fut remanié à plusieurs reprises et ne fut publié que trois siècles plus tard (par M. Letteris, Vienne, 1852 — trad. franç. Joseph ha-Cohen, La Vallée des pleurs. Chronique des souffrances d’Israël depuis sa dispersion jusqu’à nos jours , trad. Julien Sée, Paris, 1881). Les limites chronologiques du livre vont de la destruction du second Temple à l’année 1575. En fait, bien qu’il relate les persécutions médiévales, il s’attache surtout aux événements survenus au XVIe siècle, à la transplantation en Italie et en Orient des Juifs exilés d’Espagne. Cet aspect du livre en fait toute la valeur. La perspective générale de Joseph ha-Cohen apparaît, certes, providentialiste: le «doigt de Dieu» mène les peuples aux prises avec des princes justes ou cruels. Cependant, même à travers cette perspective, Joseph ha-Cohen perçoit l’aube d’un monde nouveau, défini par l’extension des terres connues et surtout l’avènement de la Réforme, aux succès de laquelle il applaudit. Cet ouvrage témoigne-t-il du sens prophétique d’un Cohen, d’un prêtre d’Israël, soucieux d’enseigner, de soigner et de consoler son peuple, ou d’une perception aiguë d’une mutation de l’histoire? Ce sont là deux clés possibles pour comprendre l’œuvre historique de Joseph ha-Cohen.
Encyclopédie Universelle. 2012.